1er Forum national sur le l’agriculture biologique : l’ambition de décoloniser le bio au Cameroun
Du 02 au 03 décembre 2020 s’est tenu à Dschang le 1er forum national sur l’agriculture biologique, dans le sillage et le prolongement des Journées Portes Ouvertes organisées par le GADD (Groupement d’Appui pour le Développement Durable). Compte rendu.
L’arrivée et l’enregistrement des participants ce mercredi 02 décembre 2020 ont permis à la cérémonie de démarrer dès 8h par la présentation des différents acteurs de la séance. Le mot de bienvenue du coordonnateur du GADD, Georges Tadjiojio Ngougni, qui intervient dès l’arrivée des autorités administratives et municipales de la ville de Dschang a signalé le démarrage effectif de l’événement. Dans son allocution, le maire de la commune de Dschang a tenu à rappeler le défi de garantir la sécurité alimentaire comme une préoccupation majeure dans sa circonscription administrative. Le représentant du Ministre de l’Agriculture et du Développement Rural (MINADER) a relevé les axes essentiels du programme gouvernemental en matière agricole. L’ouverture du Forum par le préfet de la Menoua a signé le démarrage des travaux, notamment après les interviewes à la presse nationale et régionale déplacée pour la circonstance.
« La situation de l’agriculture biologique au Cameroun » est la conférence inaugurale donnée par Hervé Bouagnibeck, expert en agriculture biologique et coordonnateur de 2004 à 2014 du Bureau africain d’IFOAM (Organisation faîtière de l’agriculture biologique au niveau mondial). Dans cette communication, l’orateur signale d’entrée de jeu le caractère peu fourni des lois fixant le cadre réglementaire de l’agriculture biologique au Cameroun et suggère tout de suite d’être proactif en ce sens. On notera dans un rapide état des lieux qu’il existe 1089 hectares de terre certifiés au Cameroun pour 500 producteurs certifiés bio. Cet état des lieux place le Cameroun en marge de l’agriculture biologique en Afrique. La spéculation de ses produits certifiés au niveau des exportations concerne surtout les fruits et le miel, notamment vers l’Europe et l’Union européenne. Au niveau local, la spéculation concerne essentiellement les produits vivriers et touche les consommateurs locaux. Ainsi, la commercialisation subit l’influence du cadre réglementaire, car il faut la Garantie de certification, des systèmes de garantie par rapport aux filières. Autrement dit, le poids du marché national est peu lisible, avec une diversité de consommateurs provenant de toutes les couches sociales et une plus grande sensibilité des femmes aux produits certifiés bio. En termes de motivations, il y a globalement une grande sensibilité aux produits de santé et sur l’environnement. L’organisation du secteur de l’agriculture biologique est marquée par l’individualisme des acteurs, la faiblesse du réseautage, l’absence d’une plateforme de communication. Comme solutions aux défis signalés, Hervé Bouagnibeck préconise l’organisation en réseau national, la fixation d’une vision commune, le développement des alternatives de certification par une africanisation des modes de certification, la diversification des stratégies, la collecte des données sur les produits et les marchés, la mise en place des campagnes de sensibilisation, d’éducation des consommateurs, une attention particulière à la réglementation.
Les échanges avec les participants à la suite de cette conférence inaugurale ont révélé la nécessité de deux lois : une sur la certification et l’autre sur le Système Participatif de Garantie (SPG). Le décollage lent de l’agriculture biologique au Cameroun a également été tributaire de la guerre dans les régions du nord-ouest et du sud-ouest, ainsi que des contraintes des lois de l’Union Européenne. Il a également été question d’harmoniser les concepts tels qu’on les définit au plan national, surtout clarifier les notions telles « agriculture biologique », « agriculture durable », « agro-écologie », « agriculture organique », etc. Au sujet de la norme nationale sur l’agriculture biologique, la loi LC 397 de 2013 a été rappelée à l’assistance. La question « Pourquoi le bio coûte cher ? » a trouvé réponse dans le problème d’éducation à la consommation. Finalement, les échanges ont abouti aux engagements ci-après : trouver un motif à l’agriculture biologique qui consistera à faire d’elle une mission et non un business, adopter une approche holistique, impliquer le personnel de santé, optimiser les produits, créer des centres d’alphabétisation avec parcelles-témoins, encourager la mécanisation pour réduire la pénibilité des paysans, quitter la vision réductionniste de la définition de l’agriculture biologique, établir un cahier de charge de référentiels.
Quel soutien institutionnel pour le bio au Cameroun ?
Du panel de discussion sur les initiatives de soutien à l’agriculture biologique au niveau national animé par les représentants du MINADER, de l’ANOR (Agence nationale de norme et qualité) et du CIRAD, a informé sur le travail de régulation et d’accompagnement qu’assure le MINADER, avec un cahier de charge de formation et de vulgarisation, sans perdre de vue le SPG (Système Participatif de Garantie). L’ANOR qui est un organisme étatique tierce partie existe depuis 2009. Sa mission consiste à servir d’outil de clarification des rôles, à homologuer les normes, à évaluer la conformité, à procéder à la certification, à assurer le contrôle qualité, à faire la veille normative. Quant au CIRAD, il s’agit essentiellement de viser l’intensification des systèmes de production, de l’appui à la formation agricole et professionnelle, notamment la formation des agents de proximité, de regroupement en coopératives.
Les expériences de terrain concernant « Le développement des chaînes de valeurs biologiques » présentées par Marcelle Guekeu, chef du Projet de Développement des chaînes de valeurs biologiques dans le Département de la Menoua (ProCVBIO), ont porté principalement sur l’appui, la commercialisation, la capitalisation, notamment dans la zone de Balivonli, Fongo-tongo, Dschang. On peut retenir ici : la fabrication et le conditionnement des intrants, les champs-écoles/semenciers de Fokamezo, le suivi accompagnement des producteurs, le système participatif de garantie, les visites de certification qui ont débouché sur 34 certifiés, le développement de circuits de distribution/vente.
Les expériences de terrain concernant « La formation d’agents d’encadrement de proximité » partagées par Georesse Fotso, chef du Projet de Formation des conseillers agropastoraux en agroécologie et en agriculture biologique (PROFOCAP), révèlent l’importance de bâtir des curricula de formation permettant de résorber le problème de la faible documentation, du scepticisme de producteurs, de dosage et du manger bio.
L’expérience de terrain qu’a partagé Daniel Ngwanou, Directeur du Centre Polyvalent de Formation de Mbouo (CFP) portait l’intitulé « Formation des jeunes en agriculture biologique et commercialisation des produits biologiques ». Les participants ont été éclairés sur l’appel d’offre de recrutement des apprenants, le régime de la formation qui tient sur 12 mois, avec 30% de théorie et 70% de pratique sur 3 hectares de fermes. Les clients de ce centre polyvalent de formation sont divers : les malades de l’hôpital de Mbouo, les distributeurs, les commerçants du marché. On se sert de l’E. Marketing pour la commercialisation à large échelle. On y expérimente des semences résilientes par rapport au changement climatique, tout en veillant à la prévention contre les attaques de diverses natures.
Lors des échanges à la suite de cette intervention, les participants ont déploré l’absence d’une vision globale et de la cohérence au niveau de la formation.
Systèmes Participatifs de Garantie (SPG) et la qualité de vie des consommateurs
Le jeudi 03 décembre 2020, dernier jour de ces Journées du GADD, a été consacré non seulement au résumé du contenu de la journée précédente, mais aussi aux réflexions portées par des groupes constitués en ateliers. Ainsi, Guy Wamba et Hervé Bouagnibeck porteront la réflexion autour du sujet : « Systèmes Participatifs de Garantie (SPG) : des systèmes viables pour garantir aux consommateurs camerounais l’intégrité et la qualité biologique des produits ». Un deuxième groupe de réflexion s’intéressera à une question fondamentale pour les agriculteurs : « Comment développer davantage les marchés des produits issus de l’agriculture biologique au Cameroun ? ». Le troisième et dernier groupe réfléchira sur « La structuration et l’organisation des acteurs de la filière au Cameroun ».
De ces réflexions qui ont suscité de débats très houleux mais fort intéressants, on peut globalement retenir que l’agriculture biologique est une réalité avec laquelle il faut désormais composer au Cameroun. Dans un contexte de suprématie des autres continents, il se signale la nécessité de décoloniser le bio, en lui trouvant tout d’abord une définition et en définissant les conditionnalités au niveau national. Les principes de santé, d’écologie, d’équité et de précaution (Eviter les OGM, par exemple) sont interpellés à cet effet. On note la possibilité d’être agriculteur biologique sans être certifié. Cependant, il existe un besoin réel de certification pour la vente délocalisée ; un besoin de preuve pour la commercialisation sur les grands marchés internationaux. Il est également question de protéger le producteur qui devra avoir une identité réelle et de la crédibilité. On est désormais édifié sur les modes de garantie, notamment : l’auto-déclaration, l’Accord fournisseur- acheteur, l’organisme certificateur. On retient au passage la certification tierce partie, où le SPG est un outil de proximité qui offre à chaque Etat à travers le monde d’établir ses propres règles lui permettant de sortir une « liste positive ». C’est la raison pour laquelle on a des labels par pays. Les valeurs y sont communes : discussion-confiance-horizontalité-transparence. Les caractéristiques de soutien du SPG reposent ainsi sur les principes et valeurs pour l’amélioration de la qualité de vie. Les mécanismes pour la validation du SPG sont déclinés : opérer des visites-enquêtes, défendre l’intégrité du secteur, entreprendre le contrôle social/citoyen, mettre en avant les avantages du SPG, réévaluer le coût de certification SPG. Les inconvénients du SPG ne sont pas à perdre de vue ici dans sa mise en place graduelle, notamment en comparaison avec les acquis de l’organisation « Nature et Progrès » en France.
Les panelistes préconisent alors : une camerounisation du SPG sur la base de la confiance avec l’Etat, en associant l’équitabilité ; la densification du volet communication pour avoir un capital de confiance ; une pleine mesure du défi de la sécurité alimentaire et de la santé à relever par l’agriculture biologique ; la nécessité de booster l’offre de qualité en considérant le politique ; la possibilité de normaliser les groupes SPG au niveau gouvernemental.
C’est par une salve d’acclamations que les participants au premier forum national sur l’agriculture biologique ont accueilli les perspectives présentées par le Pr. Alain Cyr Pangop, facilitateur associé à la modération de ces journées organisées par le GADD. Un ferme engagement à poursuivre ces assises a été pris par les différents participants qui ont quitté les lieux à la clôture de l’évènement en fin de journée.
Alain Cyr Pangop, crisologue