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Basile-Juléat Fouda : Qu’est-ce que l’esthétique négro-africaine ?

14 Août

Basile-Juléat Fouda : Qu’est-ce que l’esthétique négro-africaine ?

Note de lecture de Basile-Juléat Fouda, Sur l’esthétique littéraire Négro-africaine, Paris, L’Harmattan, collection « Pensée Africaine », présentation de Jacques Chatué, 2008, 93 pages. En hommage au grand philosophe camerounais Basile-Juléat FOUDA, penseur de l’herméneutique des traditions orales africaines, penseur chrétien (catholique) influencé par l’existentialisme et la phénoménologie, décédé le samedi 18 juillet 2020 à 88 ans.

L’auteur commence par situer le fait « littérature orale » dans l’Histoire. Si l’expression est référencée à partir de 1881 par Pierre Sébillot (Littérature orale de Basse-Normandie, Paris, Maisonneuve, 1881), la réalité du terme est ici développée dans les contextes de l’Antiquité grecque, de l’Europe orientale, de l’Inde, de la Scandinavie, de l’Afrique subsaharienne. En parcourant les aires qui ont connu épopée, rhapsodies, fables et autres formes d’oralité, l’auteur pose de lancinantes questions liées à la littérarité de la littérature orale africaine, la traduction, la situation du champ littéraire.

Ce faisant, Fouda clarifie ce qu’il entend par « littérature » : « Cet art qui utilise le langage et les séries verbales esthétiques comme moyen d’expression des pensées et des émotions de l’homme militant dans un monde qui l’accable de toutes sortes de poids ». La littérature en tant que langage esthétique apparaît successivement dans sa double originalité orale et écrite. Celle orale se décline en plusieurs aspects : « une littérature-archives des traditions », c’est-à-dire la littérature portée par une élite traditionnelle qui explique toutes les tendances durables de la vie, toutes les recettes ancestrales qui mènent à l’existence authentique ; « une littérature-archives de la parole clamée », c’est-à-dire une littérature de colportage qui fait fi de l’écriture et redimensionne une parole regénératrice, dialogale et messagère ; « littérature-archive du geste postural » qui se décline à travers le « geste formulaire », mimesis des clichés, le « geste de vocalise », voix des parleur (de littérature), le « geste oculaire », regard du parleur à la fois indicatif, explétif et imitatif. Fouda perçoit une typologie didactique et symbolique dans les dimensions culturelles de la littérature orale négro-africaine qui est à la fois une littérature de conservation et de participation, un art fonctionnel humaniste dont les procédés pédagogiques empruntent diverses pistes :

  • Le procédé du témoignage présentant le parleur comme un héraut, un guide et un éveilleur de conscience ;
  • Le procédé de pédagogie sensorielle (images) ;
  • Le procédé de stimulation (espérance) ;
  • Le procédé du contact (Intermédiaire) ;
  • Le procédé de la progression.

Le chapitre I qui développe ces aspects historique, structurale et culturelle de la littérature orale négro-africaine interpelle la problématique de la création littéraire que Fouda traite dans le chapitre II du livre. D’emblée, l’auteur y prend position « pour une littérature créative ». Ici, le ton se fait plus prescriptif. Il emprunte à la mise sur pied d’une institution littéraire nationale pour offrir les éléments explicatifs de la dialectique de la subjectivité et de l’universalité, de l’élite d’influence partagée entre la créativité littéraire et les techniques de composition négro-africaine d’entremêlement du beau et de l’utile. Aussi, verra-t-on s’agencer l’approche concentrique comme procédé pédagogique et le parallélisme comme procédé de symétrie.

Par ailleurs et dans le même ordre d’analyse, Basile Fouda épluche la thématique du domaine littéraire négro-africain. Il part de ce qu’il appelle « l’horizon indéterminé » aux thèmes esthétiques, posent ainsi les jalons des thèmes littéraires qui définissent la négrité comme motifs et centres d’intérêt sélectifs pouvant susciter une vocation à la littérature créative au Cameroun. Il dégage dans cette perspective dix thèmes littéraires négro-africains relatifs notamment à la sagesse, au bonheur, à la personnalité, à la parole, à l’ironie, à la générosité, au cœur, à la société, à la nature et au progrès.

Le thème de la nature offre à l’auteur l’opportunité de voir l’intégration du cosmos au drame existentiel négro-africain, le sentiment de la nature chez le négro-africain, avec des éléments relevant à la fois du lyrisme agricole et du lyrisme pastoral. Il est tout aussi question du sentiment du naturel chez le négro-africain, notamment en ce qui concerne le totémisme, le nagualisme, que l’auteur associe à la pensée occidentale non comme antagoniste, mais comme une pensée jumelle.

Le chapitre 3 de l’ouvrage est consacré au décryptage d’un genre littéraire échantillonné chez le peuple Béti du Cameroun : la berceuse. Pour Fouda, il appert que la berceuse est une « verroterie sentimentale », un « chant poétique et profane, accompagné des poses plastiques d’une femme diseuse de littérature, en vue de calmer un bébé, l’endormir ou simplement le cajoler ». Elle est tantôt expression de fierté triomphante, de joie débordante, tantôt de tendresse prévenante et hospitalière. En outre, le philosophe envisage la berceuse comme un genre littéraire orchestral fondé sur la parole explosive, le geste testimonial, la courbe mélodique. Enfin, les techniques de la berceuse sont illustrées par l’examen du mouvement ternaire, la simplification et la transcription de quelques extraits des berceuses Ewondo.

L’Esthétique littéraire négro-africaine de Basile-Juliat Fouda souligne fortement la question du statut de la littérature orale négro-africaine selon un mode de décryptage que le préfacier Jacques Chatué situe entre Bachelard et Derrida. Ce dernier y voit un effort de thésaurisation à la fois de données d’observation que de sens immanent. Autrement dit, cet ouvrage s’origine de travaux dont le préfacier situe les différentes phases entre le premier Festival des Arts Nègres tenu à Dakar du 1er au 24 avril 1966, au travail collaboratif de collecte de berceuses Béti publié en 1980 par l’imprimerie Saint-Paul de Yaoundé, en passant par la contribution à un colloque international tenu à Yaoundé du 16 au 20 avril 1973, sur le thème « Le critique africain et son peuple comme producteur de civilisation ».

Il s’agit, sommativement, d’une contribution qui permet de capitaliser des pépites de connaissances jusque-là « disséminés » et que le regard philosophique ici porté tend à revitaliser. Reste que cette geste analytique aille au-delà du cadre de la tradition Béti, voire camerounaise, pour une saisie globale de l’esthétique littéraire négro-africaine dans son ensemble, et apurer le questionnement mis en exergue dans la quatrième de couverture de cet agréable essai de 93 pages.

Alain Cyr Pangop Kameni

FOUDA, B.-J., La philosophie africaine de l’existence. Thèse de doctorat en philosophie, Fac. des lettres, Lille, 1967, 245 p.

FOUDA, Basile, De la négrité, fasc.I: L’enracinement, le devenir et les nations, Yaoundé le 10 avril 1972.

FOUDA, B.J., Personnalité africaine et émergence technologique, Yaoundé, brochure, 1972, et Publ. de l’ENS, Yaounde, mai, 1984.

FOUDA, B.J., Rationalité et liberté chez Descartes, Thèse de doctorat d’Etat ès Lettres, Lille, 1974.

FOUDA, Basil Juléat, Le bonheur: énigme, moteur et impasse de la destinée humaine, Conférence, Ecole Norm. Sup., Yaoundé, 1976.

FOUDA, B.J., Discours philosophiques et développement, in Recherches ouvertes (Yaoundé) (1978) n.1.

FOUDA, B., Dialogue philosophique et problème du mal chez les Beti (Sud-Cameroun), in Cl. SUMNER, (ed.), Philosophie africaine, Addis-Ababa, 1980, 38-55.

FOUDA, B.J.; POKAM, Sindjoun, La philosophie camerounaise à l’ère du soupçon. Le cas de Towa. Yaoundé, Le Flambeau, 1980, 113 p.

FOUDA, Basile, Méthode cartésienne: le point vélique de la philosophie, in Actes du colloque de philosophie de l’ENS, Yaounde, 4-8 avril 1983. Yaoundé, Impr. St-Paul, s.d.

FOUDA, Basile, Philosophical Dialogue and the Problem of Evil amongst the Beti (Southern Cameroun), tranlated by Claude Sumner, in Journal of African Religion and Philosophy 1 (1990) n.2.

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