Grégoire NGUEDI : une valeur authentique de la scène littéraire camerounaise et africaine
On dit des écrivains que leur regard sur la société détermine le temps qu’ils vont conserver dans l’esprit des lecteurs, la longévité de leur carrière aussi. Grégoire Nguedi se tient donc parmi les plumes qui, depuis le Cameroun, posent un regard empathique sur la condition de l’Africain en général, mais du Camerounais en particulier. Si dans ses romans, six au total, publiés depuis 2010 chez L’Harmattan-Cameroun, notre auteur, discret dans une grande mesure, se consacre à d’autres régions de l’Afrique (nous pourrons citer Voyage entre ciel et terre) où il se penche sur la question de l’immigration, il s’intéresse surtout à ce qui se passe chez lui au Cameroun, jusque dans des localités qui lui sont intimes : Baliama, où se joue La destinée de Baliama et Bouraka qui porte Coup de foudre à Bouraka (deux autres de ses titres).
Grégoire Nguedi explore les motivations profondes de l’être humain, afin de trouver des ressources nécessaires pour étoffer ses propositions de sorties de crises. Selon ce qu’on peut constater en le lisant, le bientôt cinquantenaire ne se donne aucune limite quant à ce dont est capable l’esprit humain. Les ombres oppressantes, son roman paru en 2014, va jusque dans les arcanes des cercles secrets ancestraux pour offrir aux lecteurs une autre dimension de la créativité littéraire, en même temps qu’une destinée peu imaginable de l’écriture.
UN REGARD AUTRE ET UNE ECRITURE PLURIELLE
Lire Grégoire Nguedi, c’est accepter de porter ce que la société a de moins agréable à supporter, ce qu’elle préfère cacher à la face du soleil. Deux romans, particulièrement, nous indiquent certains aspects que nous préférons taire, car ils ne conviennent pas à ce que nous entendons partager. Les trois vies de Farrha Gomis est le cinquième roman de cet auteur qui n’hésite pas à rentrer dans l’univers de l’éducation et de la prostitution, pour démontrer une réalité dont on ne condamne bien souvent que les apparences ; ces femmes vulnérables abandonnées aux griffes de la perversité.
Le bal des sept collines, toute dernière œuvre, « le livre vert » à cause de la couleur prédominante sur sa couverture, présente l’histoire du Cameroun sous un autre angle, une approche plus naturelle, en passant par les malédictions autour de la célèbre Coupe d’Afrique des Nations, la compétition que le Cameroun n’arrive pas à remporter sur son propre territoire, peu importe la qualité de son effectif, et pour des raisons bien sombres.
Cette pluralité révèle une singularité chez Grégoire Nguedi que le grand public découvre, malgré la densité et l’intensité de la culture qu’il présente dans ses textes. Un auteur qui apporte une valeur authentique à la scène littéraire camerounaise et africaine.
LA PLUME ET SA CRITIQUE
Si chacun de ses manuscrits a reçu un « Avis très favorable » de son éditeur à chaque dépôt, ses romans sont bien exploités dans les cercles universitaires pour des recherches, des thèses et aussi des ateliers avec des étudiants en cycle de Doctorat. Notamment, La Folie de l’écrivain, un module développé avec l’analyste littéraire Ray Ndebi, qui sera sollicité par l’Ecole Normale Supérieure de Yaoundé en 2016.
Les appréciations ne tarissent pas et, à la question de savoir si les prix littéraires ne l’intéressent pas, Grégoire Nguedi, comme à son habitude sourit, regarde au loin et répond par un air qui laisse entendre que ce type de reconnaissance a ses propres règles, et que la surprise serait toutefois intéressante. Mais, il ne base pas son écriture sur cette perspective. L’avis des lecteurs demeure pour lui le meilleur indicateur d’une société africaine qui renoue avec les valeurs de la lecture.
LA LITTERATURE COMME DISCIPLINE DE VIE
Grégoire Nguedi fait partie de ces auteurs qui sont convaincus que s’ils n’avaient pas entretenu une intimité aussi passionnée avec la Littérature, ils seraient déjà morts et enterrés. Grand solitaire dans l’âme, il se démarquait déjà depuis le collège et même dans le cercle familial par une attitude réservée et réflexive ; toujours orienté soit vers l’intérieur de lui-même soit vers la nature des autres. On pourrait dire, avec du recul, que ce fils de militaire à l’autorité incorruptible et de mère soucieuse de l’avenir émotionnel de sa famille, était né pour écrire.
C’est justement grâce à l’écriture qu’il trouve un équilibre dans ses émotions et arrive à gérer sa famille et ses affaires courantes avec sérénité. L’écriture a toujours été dans sa vie, même quand il se cherchait une raison de vivre entre l’Europe et l’Afrique une fois devenu adulte Ses plus grands moments naissaient de ces précieuses heures consacrées à la Littérature. Aujourd’hui c’est une passion qu’il communique à sa famille en mettant un accent sur la lecture chez ses enfants ; et à son environnement, en mettant sur pied la maison d’édition Nguédi JM Editions pour promouvoir la Littérature de qualité.
Plonger dans la société humaine plutôt que juste dans la société des hommes est assurément l’ingrédient qui fait la différence quand on lit les romans de Grégoire Nguedi ; c’est une chance d’avoir encore ces auteurs qui, au bout de six romans, continuent de croire en l’écriture et en la Littérature ; puisqu’il le rappelle si souvent, entre espoir et inquiétude : « Je ne suis pas certain d’avoir écrit le livre qu’il faut. J’espère pouvoir y arriver un jour ».
Certains auteurs écrivent pour les lumières, les projecteurs et les grandes distinctions qui peuplent les espaces littéraires et culturels à travers le monde. Ainsi ils produisent des textes qui vont s’accrocher à ce que la société a parfois de plus matériel comme inspiration, de plus politique comme source d’écriture. Et d’autres se forgent une identité ailleurs, à l’instar des illustres plumes d’aujourd’hui telles que Paolo Coelho qui cherche en l’humain la clé du bonheur et non en autrui.
Par Liza Claude
