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La COVID 19 va-t-elle « tuer » le deuil chez les Bamiléké ?

14 Juin

La COVID 19 va-t-elle « tuer » le deuil chez les Bamiléké ?

La Région de l’Ouest est régulièrement citée dans la chronique quotidienne alimentée ces derniers temps par des histoires d’un autre genre. On parle de la dissimulation de dépouilles mortelles et de l’exhumation illégale de corps. Ces délits ont tous un lien direct avec la COVID 19. En fait, les mis en cause espèrent par ces pratiques illégales contourner la décision gouvernementale de faire inhumer immédiatement et dans sa ville de résidence toute personne décédée des suites de Corona Virus. Manifestement, cette façon de procéder vient bousculer les usages traditionnels chez les Bamiléké pour lesquels la gestion de la mort et ses implications ne sauraient se faire en dehors du « village ». Illustration et analyses chez les Dschang.

La pandémie de la COVID19, on peut le dire sans ambages, est venue mettre le monde à l’envers. Il n’y a pas un seul pan de notre humanité qui n’ait été impacté. Et en la matière, il n’y a pas d’impact qui soit négligeable. La COVID 19 sème la mort à tout vent. Mais quelle mort ?

Chez les Bamiléké de l’ouest Cameroun, on parle souvent de bonne ou de mauvaise mort ; de même qu’on parle de bon ou de mauvais deuil. Dépendant des circonstances qui entourent le décès d’un individu et des conditions de son inhumation. A ce propos, la COVID 19 nous entraîne inexorablement dans le sillage des mauvais deuils. Car chez les Bamiléké, il est impensable d’enterrer un des leurs « hors du village ». Cela relèverait presque d’une hérésie.

Le décès le 12 Avril dernier, puis l’enterrement « précipité » du sieur MOMO Bernard a traumatisé plus d’un. Ce digne fils de la Menoua, haut commis de l’Etat, ancien édile de la ville de Dschang et surtout chef traditionnel a été inhumé dans « la stricte intimité » dans sa résidence de Yaoundé. Ses « frères » avaient pensé qu’au moins son titre de notabilité lui épargnerait un aussi triste sort. Il a été fait mention des « négociations » dans les plus hautes sphères de l’Etat pour éviter que sa dépouille ne connaisse une telle « humiliation ». Que nenni ! Les ressortissants de son village Laha Fié dans le Groupement Foréké-Dschang sont rentrés dans une consternation totale. Est-ce que le « Ndoh », la malédiction n’allait pas s’abattre sur eux ? Car il y a eu plusieurs entorses à la coutume. En premier lieu, un chef ne meurt pas hors de son territoire. Et si d’aventure cela se produisait, son corps est alors rapidement ramené au « village » dans le plus grand secret et enterré selon des rites bien codifiés. C’est après ces préalables que le deuil est « ouvert » et des obsèques « officielles » programmées.

Au final, non seulement le chef est décédé hors de son territoire, mais en plus, il a été enterré ailleurs. Tous les rites y afférents ont été escamotés. Des torts qu’il faudra, selon la tradition locale,  réparer pour éviter que sa descendance, sa famille et même  le village tout entier n’en subissent pas des conséquences à l’avenir.

La dissimulation des corps comme résistance aux enterrements hérésiarques

Au-delà du village Foréké, voire même de tout le département de la Menoua, cette pilule, très amère, n’est manifestement pas passée. Et la question se faisait lancinante : si on peut faire « ça » à une élite, chef traditionnel de surcroit, qu’en  sera-t-il d’un individu lamda ?  La « résistance » s’organisa donc, sournoise, silencieuse. La parade était toute trouvée pour éviter à d’autres un enterrement aussi disgracieux. Il fallait « exfiltrer » les corps des personnes décédées, principalement à Douala et Yaoundé, et les conduire en catimini au village pour des obsèques « dignes », respectant tous les canons traditionnels. Des idées aux actes, l’actualité nous a servi quelques exemples.

Dans la journée du 23 avril dernier, un corps « suspect » a été intercepté par les forces de l’ordre à bord d’un véhicule de l’agence de voyages Nkweh Ndem en provenance de Douala au niveau du poste de contrôle de la Falaise de Dschang à l’entrée de la ville. C’était celui d’un jeune homme vivant à Douala et décédé des suites de Corona virus. Le corps était enroulé dans un simple matelas. Le car qui transportait 19 personnes a été désinfecté et le corps inhumé par le soin des services sanitaires.

Quelques jours plus tard, la ville a vibré au rythme d’une « chasse au macchabée » organisée tout au long de la nuit et dans la journée par les forces de l’ordre. En effet, le maire de Fokoué les a informés qu’un corps avait été soustrait  à la vigilance des autorités sanitaires par des proches qui avaient quitté Douala et projetaient de l’enterrer en catimini dans cette localité située à une vingtaine de kilomètres de Dschang. Une véritable battue a alors été organisée et en milieu de journée, les fugitifs ont été retrouvés dans un quartier de la ville à partir duquel ils espéraient rallier le village dès la tombée de la nuit. La dépouille avait été dissimulée sous d’autres bagages dans la malle arrière du véhicule.

Toutes  choses qui ont amené les autorités publiques à monter au créneau. Le préfet de la Menoua, Monsieur MBOKE Godlive NTUA, a donc pris un arrêté le 30 avril portant « interdiction de l’entrée de tout corps consécutif au COVID-19 ou non dans le département de la Menoua ». Devant la levée générale de boucliers, il s’est rétracté,  a sorti un autre texte le 04 mai stipulant cette fois que l’entrée de tout corps se fera après présentation du certificat du genre de mort. Il faut souligner que cette décision rentre dans une stratégie globale adoptée par les autorités camerounaises pour limiter la propagation de la maladie, même si dans le cas de Dschang, le préfet semble excédé par la dissimulation des corps dont faisaient montre les populations.

Au vu de tout ceci, la question qui se pose est celle de savoir pourquoi tant d’acharnement, tant d’énergie déployée, tant de prises de risque alors que d’éventuelles sanctions pénales sont brandies par les autorités ? La réponse apparaît en sourdine dans l’un des arrêtés du préfet de la Menoua qui précise en substance que les familles « pourraient bénéficier des autorisations d’exhumations afin de donner auxdits membres des familles tous les honneurs traditionnels souhaités et mérités ».

AZEUFACK Mathurin – Guide professionnel de Tourisme,  Spécialiste du Patrimoine des Grassfields

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Par admin

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