La politique de désarmement dans le monde : dépasser les impasses
L’image captée par Martine Perret a largement circulé, montrant comment l’armée burundaise s’est volontairement engagée à être désarmée sous les auspices des Casques bleus de l’ONU : des armes sont ainsi brûlées lors du lancement du processus de désarmement, démobilisation, réhabilitation et réintégration (DDRR) à Muramvya, au Burundi. En effet, depuis la fin de la guerre froide avec l’augmentation des conflits internes aux Etats, pour faire face aux exigences de ces conflits, les mandats confiés aux Nations Unies à partir de la fin des années 1980 incluront certaines tâches tout à fait nouvelles pour les casques bleus : superviser des élections, assurer le passage de l’aide humanitaire ou désarmer les groupes paramilitaires fait maintenant partie des fonctions remplies par les soldats de la paix. Au fait, l’ONU procède avant tout par une diplomatie préventive, consistant à prévenir (aussi bien qu’à dissiper) les malentendus susceptibles de compromettre les relations entre différentes fractions. Dans les pays des Grands lacs elle a procédé par la Démobilisation, Désarmement et Réinsertion des différents éléments des groupes armés dans les années 2010.
La complexité de la course à l’armement comme stratégie de dissuasion nucléaire
Dès la création de l’ONU et l’entrée dans l’ère atomique, les résolutions, traités et accords mis en œuvre par cette instance ont été multiples pour contrôler la course aux armements, mettre un terme à la prolifération nucléaire et engager un processus de désarmement nucléaire.[1] Depuis la découverte de l’arme atomique au cours de la Seconde Guerre mondiale, la doctrine de la dissuasion nucléaire est promue comme une arme de paix. En 1945, à la suite des bombardements sur Hiroshima et Nagasaki, qui ont fait près de 150 000 victimes, le monde découvre la capacité destructrice de cette nouvelle invention. Mais c’est aussi son potentiel dissuasif qui est mis en avant. Dès lors, on réfléchit à deux fois avant de se lancer dans un conflit direct avec une puissance dotée de l’arme nucléaire. On rentre désormais dans la doctrine de la vulnérabilité mutuelle, c’est-à-dire une relation entre pays qui se fonde sur la peur. Ce concept, mis en lumière à la fin des années 1940, notamment par le chercheur Bernard Brodie, développe la théorie de la « destruction mutuelle assurée » également appelée « l’équilibre de la terreur ». L’objectif est de montrer à son adversaire que le coût des attaques excède les bénéfices. Il ne s’agit plus ici de gagner la guerre, mais plutôt de l’éviter. W. Frederick Mulley estime alors que « si les armes nucléaires sont de nature à décourager l’agresseur, elles ne peuvent être utilisées pour la défense du territoire ». Il tire une conclusion remarquable : « Toute la conception de la défense occidentale doit être fondée sur le principe qu’il faut empêcher la guerre et sur la nécessité d’éviter le déclenchement d’une réaction en chaîne si jamais des hostilités limitées devaient éclater et entraîner l’utilisation d’armes nucléaires. Dans ces conditions le désarmement général, soumis à l’inspection et au contrôle, n’a pas besoin d’autre justification ». Avec l’arrivée à échéance du traité bilatéral New Start en février 2026 et sans un renouvellement, il ne restera plus rien de l’architecture de contrôle des armements nucléaires entre USA et Russie pour la première fois depuis 1972. Chine et États-Unis vont entamer des pourparlers militaires, signalant une possible désescalade. Pékin encourage le “America First” dans le désarmement nucléaire. “On espère que les relations militaro-militaires entre la Chine et les États-Unis commenceront sur de bonnes bases et se développeront davantage”, a déclaré le mois dernier le porte-parole du ministère chinois de la Défense, Wu Qian. Le désarmement nucléaire en Indopacifique est un idéal confronté à la Realpolitik qui doit composer avec les réalités géopolitiques de la région. Face à cette situation passive que connait le désarmement et à l’échec de la 10e conférence d’examen du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires à adopter son document final, ce qui constitue «une grande déception au vu du besoin urgent de résultats concrets», l’Algérie avait appelé à réunir toutes les conditions nécessaires à la tenue et au succès de la 4e session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies dédiée aux questions de désarmement, afin de dépasser l’impasse.
Désarmement humanitaire dans la gouvernance globale
La personnalité de Alva Reimer Myradal est souvent évoquée lorsqu’on parle du processus de désarmement[2].Mais depuis quelques années, devant les blocages de la Conférence du Désarmement, principale instance onusienne du désarmement, de nouveaux espaces de paroles et d’actions voient le jour en dehors de l’ONU[3]. Sur une volonté du président américain G.W. Bush, une action internationale coordonnée en dehors de l’ONU est née en 2003, pour contrer toutes les menaces de prolifération d’armes de destruction massive. Le projet People’s Peacemaking Perspectives est une initiative mise en œuvre conjointement par Conciliation Ressources et Saferworld. Il est financé dans le cadre de l’instrument de stabilité de la Commission européenne. Il propose aux institutions de l’Union européenne des analyses et des recommandations fondées sur les opinions et expériences des populations locales dans un certain nombre de pays et de régions en proie à des conflits violents ou des situations de fragilité.
Pour les uns, l’élimination des armes et des armées permanentes entraînera la fin des guerres, générera l’amitié entre les peuples et le développement pour tous. Pour d’autres, le désarmement renvoie à la politique des États, à leurs préoccupations stratégiques, à leurs manœuvres diplomatiques. Il présente dès lors une signification beaucoup plus complexe, historiquement partagé entre pratique réelle et propagande mensongère. Il comprend par ailleurs l’ensemble des méthodes et moyens permettant d’empêcher ou de limiter la fabrication ou l’emploi d’armes, ainsi que la constitution ou le développement de forces armées. On pourra alors parler de limitation des armements, de restriction volontaire, voire totale élimination des armements et des forces armées existants, dans le but de prévenir les conflits. Les exigences morales et l’impératif de sécurité collective indiquent que le désarmement est l’aspiration traditionnelle du pacifisme humanitaire.
Les objectifs techniques de la démobilisation et de désarmement comprennent généralement l’amélioration de la qualité et de l’efficacité d’une armée permanente, étant donné qu’il y a moins de membres du personnel à rémunérer, il devient possible d’utiliser les fonds avec plus d’efficacité pour acquérir du matériel et verser des soldes. On encourage ainsi la modernisation des forces et la prise de mesures disciplinaires.

La question du désarmement au goût du jour
La guerre de 2023-2024 entre Israël et le Hezbollah a relancé le débat au Liban sur le désarmement de l’aile militaire du parti chiite, tandis que les tensions sociales causées par les déplacements de population perdurent. Préserver le cessez-le-feu devrait être la priorité absolue des responsables politiques et des puissances extérieures pour contenir les tensions dans un Liban ravagé par la guerre. En réaction aux déclarations du ministre israélien des Affaires étrangères, qui a conditionné la deuxième phase du cessez-le-feu à Gaza à un désarmement total de la Résistance, le mouvement Hamas a affirmé que cette exigence était une « ligne rouge » et qu’aucune négociation ou compromis ne serait accepté à ce sujet.
Un sommet de la Ligue arabe se tenait au Caire mardi 4 mars 2025 pour discuter de l’avenir de la bande de Gaza, alors que les négociations sur une deuxième phase de l’accord de cessez-le-feu dans l’enclave palestinienne butent entre le Hamas et Israël. Les Emirats arabes unis, qui pourraient jouer un rôle central dans le financement de la reconstruction mais considèrent le Hamas comme une menace existentielle, réclament le désarmement complet et immédiat du groupe tandis que d’autres pays arabes préconisent une approche plus graduelle, selon une source informée des discussions. Alors qu’Israël a également conditionné la poursuite de la trêve dans la bande de Gaza à la « démilitarisation totale », le Hamas signale son désaccord arguant qu’il s’agit d’une « ligne rouge » et un « non-sens ». L’Égypte a convaincu les dirigeants arabes, réunis au Caire dans le cadre d’un sommet de la Ligue arabe, d’adopter son projet alternatif pour mener la reconstruction de la bande de Gaza sans en chasser les Palestiniens, contrairement au plan alternatif à la « Riviera du Moyen-Orient » voulu par le président étatsunien Donald Trump.
Dans la même foulée, le président américain Donald Trump veut rapidement une cessation des hostilités. Le Protocole de Minsk (ultérieurement connu sous le nom de Minsk I) ainsi que le Mémorandum de suivi de Minsk de septembre 2014 et l’ensemble de mesures pour l’application des Accords de Minsk » (Minsk II) sont des accords passés entre l’Ukraine et la Russie pour résoudre le conflit en Ukraine orientale[4]. Alors que les Accords de Minsk étaient censés apporter la paix à l’Ukraine, pourquoi donc la guerre continue-t-elle dans le Donbass depuis près de quatre ans ? Après des consultations pilotées depuis de nombreux mois par le Centre de politique de sécurité de Genève (GCSP) qui a rassemblé depuis longtemps des experts mondiaux sur cette question, un guide d’options pour un cessez-le-feu en Ukraine présente les pistes possibles. Il recommande d’établir une ligne de cessez-le-feu, puis une commission militaire conjointe, potentiellement aidée par une équipe multilatérale de liaison. Une zone tampon, qui devrait être déminée, et des zones limites pour les armes lourdes devraient être lancées. Une mission de surveillance internationale, dotée de soldats européens, devrait être constituée. Des garanties de sécurité devront être décidées, étape vers un accord politique et des accords de désarmement.
Après l’affrontement verbal entre le président américain Donald Trump et le président ukrainien Volodymyr Zelensky dans le bureau ovale de la Maison Blanche[5], le président français Emmanuel Macron s’est dit prêt à discuter dans le cadre d’un « dialogue stratégique » à l’extension de son parapluie nucléaire à ses partenaires européens. « On ne peut pas dire qu’on veut des Européens plus autonomes et considérer qu’on va laisser nos voisins dépendre totalement de la capacité américaine sur le plan de la dissuasion », a-t-il déclaré.
La conférence de dialogue national à Damas, tenue récemment, a tracé les grandes lignes du futur Etat en Syrie après la chute de Bachar al-Assad, insistant sur le désarmement nécessaire des groupes armés, mais sans rallier l’administration autonome kurde, qui n’était pas invitée. Le refus de Berri d’accepter le désarmement du Hezbollah comme condition à l’aide internationale reflète une réalité politique complexe. Le groupe, bien qu’affaibli par la guerre de 2024 – avec la perte de son chef Hassan Nasrallah et d’une partie de son arsenal –, conserve une influence significative. Signalons qu’environ 40 millions de Kurdes vivent répartis entre la Turquie, l’Irak, la Syrie et l’Iran.De la création du PKK en 1978 à nos jours, on ne compte plus les familles brisées par une interminable guerre larvée, avec un très lourd bilan d’au moins 40 000 morts – majoritairement des combattants et des proches du mouvement d’inspiration marxiste. Depuis la lecture d’une déclaration écrite par le leader du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, classé terroriste par Ankara, les États-Unis, et l’Union européenne), qui a appelé jeudi 27 février 2025 son organisation au désarmement et à la dissolution, une opportunité historique se dessine autour de la question kurde. En effet, quelques jours après « L’appel du siècle » prononcé par Abdullah Öcalan, le chef historique du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) emprisonné en Turquie depuis 26 ans, ses troupes ont déclaré un cessez-le-feu. Une première étape symbolique avant le désarmement et la dissolution de l’organisation kurde. Pour autant, le chemin vers la paix est encore long, et tous les regards se tournent désormais vers Ankara pour espérer qu’une page d’un demi-siècle de conflit armé pourrait se tourner au Moyen-Orient : la dissolution et le désarmement de l’organisation, en guérilla contre Ankara depuis 1984.
Désarmement, non-prolifération, démobilisation et réintégration en Afrique
Tout comme dans trois régions du Cameroun sujettes à de conflits armés, le processus de désarmement démobilisation et réinsertion (DDR) demeure une préoccupation importante des populations maliennes, en particulier celles du nord. Le Sénégal et le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) ont conclu un accord le dimanche 23 février 2025 à Bissau, visant à mettre fin au conflit en Casamance, une région du sud du Sénégal marquée par une rébellion séparatiste depuis 1982. L’an dernier, 36 ex-combattants, dont trois femmes, ont été désarmés et 32 armes de guerre, ainsi que 1 500 munitions et 16 grenades ont été collectées lors d’une opération de désarmement et de démobilisation volontaire d’ex-combattants, menée le 22 octobre 2024 à Kouango, dans la Ouaka en République centrafricaine, par une équipe mobile de l’Unité d’exécution du programme national de désarmement, démobilisation, réinsertion et rapatriement (UEPNDDRR). Chaque ex-combattant formellement démobilisé a reçu une carte attestant de son nouveau statut à l’issue de cette opération. Cette opération a bénéficié d’un soutien technique, logistique, financier et sécuritaire de la MINUSCA, dans le cadre de son engagement envers le processus de paix en République centrafricaine.
Envisager des activités qui appuient directement les efforts de consolidation de la paix liés à la sécurité et renforcer la relation entre le désarmement et le développement sont les clefs pour aller au-delà des impasses et construire un monde de justice, de progrès et de paix.
Alain Pangop, www.affocom.com
[1] Le terme d’arme nucléaire est couramment utilisé pour désigner indifféremment toute arme tirant sa puissance explosive soit de la fission, soit de la fusion nucléaire.
[2] Alva Reimer Myrdal, ou Alva Myrdal, née le 31 janvier 1902 à Uppsala (Suède) et morte le 1er février 1986 à Danderyd (Suède), est une femme politique, diplomate et sociologue suédoise. Elle a reçu le prix Nobel de la paix en 1982 (conjointement avec le diplomate mexicain Alfonso García Robles) pour son rôle dans les négociations pour le désarmement au sein des Nations unies et dans la formation de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm. Elle était l’épouse de l’économiste Gunnar Myrdal et la mère de l’écrivain Jan Myrdal. Elle a également été députée au Parlement suédois, élue sous les couleurs du Parti social-démocrate. Elle était membre de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté. Alva Reimer Myrdal attire l’attention pour la première fois dans les années 1930 et est l’un des principaux moteurs de la création de l’État-providence suédois. En 1934, elle publie avec Gunnar Myrdal Kris i Befolkningsfrågan (La question de la population en crise ; en anglais « The Crisis in the Population »), émettant que le principe de base sur cette question serait de trouver les réformes sociales nécessaires pour permettre la liberté individuelle (en particulier pour les femmes) tout en promouvant la procréation et en encourageant les Suédois à avoir des enfants. Ce livre souligne aussi l’importance de la responsabilité partagée dans l’éducation des enfants, aussi bien entre les parents qu’avec la communauté avec des éducateurs d’enfants formés.
[3] La Conférence de désarmement est une instance de négociation multilatérale unique dans le champ du désarmement. Son mandat initial est la négociation de traités multilatéraux de désarmement. Elle est composée de 65 Etats membres. Ils se réunissent aux Palais des Nations à Genève, traditionnellement dans la Chambre du Conseil, lors de trois sessions annuelles de plusieurs semaines chacune. Les travaux de la CD sont entrepris sous l’égide d’une présidence tournante. Les négociations sont conduites sur la base du consensus.
[5] Cette séquence dans le bureau ovale est probablement du jamais-vu dans l’histoire diplomatique. Pour autant, elle s’inscrit dans la droite ligne du rapprochement entre la Russie et Trump au sujet de l’Ukraine depuis qu’il est revenu au pouvoir. Elle montre que la Russie et les Etats-Unis sont protagonistes.