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La promesse de Malingo de Pierre Fandio ou le roman d’une héroïne à l’identité meurtrie

6 Sep

La promesse de Malingo de Pierre Fandio ou le roman d’une héroïne à l’identité meurtrie

NOTE DE LECTURE 

La promesse de Malingo est un roman qui présente une héroïne à l’identité meurtrie, presqu’inconnue. Lum Joy Abongwa alias Joyceline Luma alias Malingo sont en fait quelques-unes des identités de la jeune héroïne. En effet, son patronyme, son lieu de naissance et autres « accidents de l’histoire » – qui sont susceptibles de condamner ou de sauver un enfant – vont irrémédiablement condamner la jeune héroïne à un moment donné de l’histoire du roman. La promesse de Malingo est donc un roman qui raconte l’histoire de Malingo avec humour, mais aussi avec beaucoup d’enthousiasme. Cette histoire rocambolesque est racontée en neuf carnets.

         En réalité, Malingo est une enfant innocente qui n’a pas demandé à naître, mais le coup du sort a voulu qu’elle connaisse tous les problèmes du monde. Tout commence par son acte de naissance qui avait des problèmes de nom. En fait, le nom qui figurait dans son acte de naissance était de loin différent de celui avec lequel on l’appelait. La tradition voulait que l’enfant hérite du nom de famille de son père. Or, dans son acte de naissance ne figurait nulle part le nom de son père et, comme cela ne suffisait pas, ses noms qui se trouvaient sur ce maudit papier étaient encore transformés. Elle était connue sous le nom de Lum Joy Abongwa mais l’acte de naissance lui donnait plutôt le nom de Joyceline Luna.

Le problème a été déniché à partir du moment où elle voulait présenter le concours d’entrée en sixième et le CEPE au CM1 parce que très intelligente. Malheureusement pour elle, ce rêve se voit directement transformé en cauchemar, dans la mesure où ses dossiers officiels n’aboutiront jamais. Sa mère s’étant rendu compte de la bêtise qu’avait faite son mari, s’en est pris à ce dernier ; ce qui entraîna leur séparation. M. Soya, ne sachant comment faire pour prendre soin de ses enfants, avec la scolarisation de ces derniers et surtout le problème de nom de sa fille aînée, a décidé de les envoyer au village dans l’espoir de voir sa fille accomplir son rêve. Mais c’était peine perdue. Chemin faisant, M. Soya avait été atteint d’une maladie qui a fini par l’emporter alors que ses enfants se trouvaient toujours au village. Malingo traînait son problème, qui était devenu un lourd fardeau pour elle, partout où elle passait. En fin de compte, elle a eu son CEPE aux cours du soir, un ticket qui lui permettait d’entrer dans le second cycle. Intelligente qu’elle était, elle a fini par obtenir son baccalauréat littéraire, le GCE/A Level.

Après l’obtention de son baccalauréat, elle a fait face à un autre problème qui était celui de son insertion socio-professionnelle. Elle n’a pas pu faire certains concours juste parce que, soit elle n’était pas « originaire de », soit parce qu’elle était littéraire. Elle a tout de même eu le GTTC mais après sa formation, elle n’a jamais eu le travail. De guerre lasse, elle est devenue une Paris-à-tout-prix et elle a décidé de se rendre à Dubaï afin d’acheter les articles et revendre au pays. Mais Dubaï n’était pas un long fleuve tranquille. Elle y a connu d’autres souffrances en travaillant comme femme de ménage. En fin de compte, elle avait été abusée par son patron en l’absence de sa femme. Ce qui occasionnera son retour brusque dans son pays natal.

Créativité et ingéniosité

Pierre Fandio a fait preuve de beaucoup de créativité et d’ingéniosité lors de la rédaction de son roman en sortant un tout petit peu du commun. Cette créativité s’observe d’abord au niveau de l’épigraphe. Car dans d’autres romans, l’épigraphe est une citation ou un extrait de texte d’un autre auteur ; mais dans ce cas-ci, ce qui tient lieu d’épigraphe est un extrait de texte du même roman. Par la suite, son ingéniosité vient du fait qu’il a commencé son roman par la fin ; ce qui donne une certaine coloration et une certaine lisibilité à son texte. Toutefois, il développe bien de thèmes dans son roman parmi lesquels l’insertion socio-professionnelle qui, d’ailleurs, est un des thèmes phares du roman. En fait, l’insertion socio-professionnelle est déjà devenue un problème majeur dans notre pays à cause d’un certain nombre de facteurs. Cela s’observe dans le roman avec Malingo qui, avec son bagage intellectuel, n’arrive pas à trouver du travail après avoir reçu une formation professionnelle. Elle avait donc constitué son dossier d’intégration – comme tous ses promotionnaires d’ailleurs – mais l’opération n’a jamais abouti, comme le précise Malingo : « le temps passa bien vite. Nous étions en début mai. Même les prévisions les plus pessimistes étaient dépassées. Toujours aucune nouvelle officielle de nos dossiers « en étude » au ministère » P.191. Or, le ministère se justifie en disant que tous ces lauréats n’avaient pas déposé leurs dossiers dans leurs provinces d’origine. Ainsi, comme le précisait le journal radio après un sit-in devant les bureaux du ministère « ces « en attendant-là » étaient de ceux minoritaires, qui avaient refusé de déposer leur dossier dans leur province d’origine comme tout le reste des candidats, dont l’étude de dossier était en bonne voie » P.192. Ceci témoigne à suffire que l’intégration au Cameroun est un problème très sérieux qui se maintient debout grâce à un certain nombre de forces notamment le tribalisme.

Tribalisme à outrance et émigration

Un autre thème phare développé par Pierre Fandio est le tribalisme, corolaire de l’intégration nationale. En réalité, pour occuper une place souhaitée et de choix dans ce pays, il faut soit être le « fils de », ou encore « originaire de ». L’auteur a tôt fait de mettre à nu ce phénomène à travers son héroïne. En clair, Lum Joy Abongwa se plaint de cette situation de précarité dans laquelle elle est plongée et accuse l’amour. Elle fait d’ailleurs une comparaison entre un compatriote et elle en ces termes : « Alors que moi, Lum Joy Abongwa alias Luma Joyceline alias Malingo, née à Mbalmayo de Awana Etoga Solange et de Abongwa Victor Teke, je ne puis être institutrice à Malay village ! Parce que je ne suis pas « daughter of the soil » ! Parce que je ne suis pas « originaire » de là ! Parce que je suis née à Mbalmayo ! » P.194. Pour Pierre Fandio en effet, le tribalisme dans notre pays a déjà été érigé en vertu et en mode de gestion de la cité qu’il est aujourd’hui très difficile de s’en débarrasser.

Un autre thème phare est la migration. Notons qu’elle peut se présenter sous deux angles notamment la migration clandestine et la migration « normale ». Les questions migratoires sont une autre question brûlante de l’actualité en Afrique. Ainsi, l’auteur de La promesse de Malingo l’a étalé au grand jour dans son roman à travers Malingo qui, étant reniée dans son propre pays, ayant des difficultés du monde à être intégré dans son propre pays, décide de se jeter dans l’aventure, avec pour destination Dubaï. Notons que c’est le problème lié à l’intégration nationale, à l’insertion socio-professionnelle qui conduit à la migration des populations dans la plupart du temps. Ces dernières vont dans des pays où elles seront considérés et acceptés. Or, il n’y a de meilleur espace d’épanouissement que chez soi. Raison pour laquelle Malingo, après moult tentative d’insertion dans son pays natal, est allée en aventure à Dubaï considéré comme un pays de rêve. Mais elle se rendra compte très vite que la réalité est toute autre. Car elle a eu beaucoup de peine à trouver du « travail », femme de ménage en l’occurrence ; puisque c’était cela l’un des « métiers »  réservés aux migrantes. Elle avait des problèmes avec ses employeurs, surtout la femme de maison et se plaignait comme quoi « ma patronne me bouffait mon temps et mes nerfs » P.249. Finalement, elle prit sur elle la résolution de retourner dans son pays natal.

Qui est Pierre Fandio?

Diplômé des universités de Yaoundé, Stendhal (Grenoble 3) et de Franche-Comté à Besançon, Pierre Fandio est professeur qualifié du CNU. Il enseigne depuis 1993 la Littérature comparée, la Littérature africaine et les Etudes françaises à l’Université de Buea au Cameroun. Auteur d’une cinquantaine de communications scientifiques, il a aussi contribué à des ouvrages collectifs dont Dictionnaire des œuvres littéraires négro africaines d’expression française au sud du Sahara, Vol. II (1996); Les Littératures africaines : transpositions ? (2002); La Littérature camerounaise depuis l’époque coloniale. Figures, esthétiques et thématiques (2004) ; Anthologie de la littérature camerounaise (2006), Enseigner le mode noir. Mélanges offerts à Jacques Chevrier (2008) : En collaboration avec Bernard Lecherbonnier, Jean François Durand et Edmond Jouve), etc. Il est l’auteur de La Littérature camerounaise. Grandeurs, misères et défis (2006), Figures de l’histoire et imaginaire au Cameroun (2007) et de Amadou Koné. La littérature ivoirienne entre narrations et tradition (2009). Exils et migrations postcoloniales. De l’urgence du départ à la nécessité du retour (2011). Son essai, Les Lieux incertains du champ littéraire camerounais. La postcolonie à partir de la marge (2012) et son tout premier roman La promesse de Malingo (2019). Lauréat du Programme de Mobilité de l’Agence Universitaire de la Francophonie (PMAUF) 2007/2008, Pierre Fandio, qui dirige le Groupe de recherche sur l’Imaginaire de l’Afrique et de la Diaspora (GRIAD) de l’Université de Buea, est Membre fondateur du « Collectif des chercheurs sur les littératures au Sud » de l’Agence Universitaire de la Francophonie et ses recherches récentes portent aussi sur les cultures populaires contemporaines.

Gaël FOLEFACK NGOUFACK, Université de Dschang

PIERRE FANDIO, La promesse de Malingo, Editions CLE, Yaoundé-Cameroun, 2019, 268 Pages