Les morts du coronavirus : La fin des « honneurs traditionnels » ?
Une lame de fond est en train de balayer un des piliers des traditions Bamiléké en contexte Covid 19 : le deuil et son ordonnancement.
La mort chez les Bamilékés rentre dans le cycle normal de l’existence. Et la symbolique de l’enterrement est capitale dans la cosmogonie Bamiléké. Elle n’est pas la fin de tout, mais plutôt un passage. C’est dans ce sens que les rites du deuil sont bien codifiés et chaque étape revêt une signification particulière. De plus, le deuil n’est pas une affaire individuelle. Il concerne l’individu, sa famille, la famille élargie et la communauté (quartier, village). Lors du deuil, c’est toute une dynamique qui se déploie. Tous les groupes avec lesquels le défunt a interagi de son vivant doivent chacun faire « leur » deuil. Que ce soit du côté professionnel, amical ou social représenté généralement par des associations bien organisées appelées chez ici « réunions ». Ensuite, la famille qui se saisit de l’occasion pour resserrer les liens et parfois régler ses « conflits ». Et la communauté du quartier ou du village qui fait corps autour du membre disparu. Toutes ces entités, non seulement, apportent leur contribution financière aux différentes dépenses inhérentes à l’organisation des obsèques ; mais interviennent aussi dans différentes phases de leur déroulé.
Et puis, il y a le choix du successeur qui ouvre la voie à la continuité de la lignée, de la vie. Suivra dans quelques années l’enlèvement du « crâne » qui sera mis dans un sanctuaire ou un mausolée, pour d’autres rites. Et plus tard, des funérailles vont ouvrir le chemin de « l’éternité » au défunt qui sera élevé au rang d’ancêtre.
L’enterrement tel qu’il s’opère dans le contexte de la COVID 19 débouche sur des drames individuels et collectifs. Le terme « je n’ai pas enterré mon père, ma mère, mon frère… », va devenir récurent. Une famille qui n’a pas enterré les siens risque d’être stigmatisée, pointée du doigt comme victime du « ndoh ». La mort d’un individu quelconque ou d’un chef et surtout son non inhumation selon les canons de la tradition ouvre la porte à une série de malédictions et donne lieu à de nombreuses supputations.
Les Bamiléké pourront-ils surmonter cette crise ? Et bientôt s’ouvre la saison des funérailles. A quoi ressembleront-elles sous l’air Corona Virus ?
AZEUFACK Mathurin – Guide professionnel de Tourisme, Spécialiste du Patrimoine des Grassfields