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Ma passion africaine de Claude NJIKE-BERGERET : récit autobiographique et anthropologie africaine

5 Août

Ma passion africaine de Claude NJIKE-BERGERET : récit autobiographique et anthropologie africaine

Comment une jeune française arrive-t-elle à aimer si passionnément la région de l’Afrique qu’est Bangangté ? Comment Claude Bergeret, jeune femme, divorcée et mère de deux enfants, diplômée d’Université, petite-fille et fille de pasteur en vient-elle à tomber amoureuse, puis à épouser le chef bangangté, un homme déjà polygame ? Quelle vie mène-t-elle dans le palais de ce chef  après s’y être installée? Quelles sont les relations avec son mari et avec ses coépouses ? Quelles sont les relations avec ses parents et le monde occidental ? Comment vit-elle sa double appartenance culturelle africaine et française à la fois ? À ces questions et à beaucoup d’autres, Claude Njiké-Bergeret répond dans son livre intitulé Ma passion africaine paru aux éditions Jean-Claude Lattès à Paris en 1997, 357 p.

Construit autour de huit chapitres précédés d’un avant-propos, le récit de la vie de Claude Njiké-Bergeret évoque tous les grands moments de son existence et envisage même l’après-mort. Elle naît en 1943 à Douala où sont affectés ses parents Charles et Yvette, missionnaires protestants. Enfance à Bangangté jusqu’à l’âge de 13 ans. Même éducation, mêmes repas, même couche ou presque, mêmes jeux, mêmes langues (le français et le bangangté) que ses camarades de classe et d’enfance. Les souvenirs d’enfance de Claude Bergeret constituent l’essentiel du chapitre 1. L’un de ses souvenirs indélébiles aura été une fête donnée à la chefferie où étaient régulièrement invités ses parents. C’est son premier contact avec la chefferie et le chef bangangté d’alors, Robert Pokam Njiké, père de son futur époux. Un contact fort, déterminant. La jeune Claude se dit “envoûtée par cette fête païenne” et déclare ne pouvoir “résister à l’appel [de l’Afrique].” (p. 52)

Le chapitre 2 évoque la vie de Claude en France après Bangangté. Études secondaires sanctionnées par la première partie du baccalauréat “C” en 1961 et par le baccalauréat de philosophie quelque temps après.  Études de philosophie et de géographie dans les facultés des Lettres de Poitiers, puis d’Aix-en-Provence. Maîtrise de géographie. L’agrégation et le doctorat de géographie ne sont plus loin… Mais ce parcours n’est pas aussi linéaire qu’on le croit car, entretemps, Claude sera tombée amoureuse de Paul, son professeur de guitare, se sera mariée avec lui à 21 ans, aura accouché de ses deux premiers garçons, Serge et Laurent, et aura… divorcé d’avec lui.

Pendant ces nombreuses années de vie en France, Claude n’a pas réussi à mettre une sourdine aux images fortes de Bangangté qui l’assaillent. Qu’il s’agisse d’un sujet de rédaction en classe de 6e portant sur son “meilleur souvenir de vacances” (p. 63) ou des débats avec ses amis français (p. 89), cette région de l’Afrique reste omniprésente. Alors qu’elle  ne sait toujours pas si elle remettra jamais les pieds en Afrique, Claude prend part à Paris à un congrès sur le sous-développement destiné aux coopérants en partance pour l’Afrique (pp. 89-94). Ce congrès sera déterminant pour son avenir. Les démarches qu’elle entreprend pour que son rêve devienne réalité aboutissent à la signature, avec la Société des Missions de Paris, d’un contrat de trois ans d’enseignement au Cameroun.

L’une des clauses de ce contrat prévoit son affectation en pays bamiléké, et le plus près possible de Bangangté (p. 104). Les discussions de ses amis français n’y font rien : “C’était chez moi, leur objecte-t-elle, je n’avais pas choisi de naître au Cameroun, de vivre à Bangangté. Je devais y retourner pour retrouver mes racines, pour ne pas renier une partie de ma vie.” (p. 101)

Les chapitres 3 et 4 retracent le retour et la vie de Claude dans son “village” et ses amours avec le chef bangangté. Elle est affectée au collège Elie-Allégret avant d’être nommée directrice au collège de Bangangté-Mfetom en remplacement de ses parents appelés à jouir de leur retraite en France (p. 132). Cette nomination amène donc les parents de Claude à la présenter aux autorités du département du Ndé, dont le jeune chef de Bangangté de 27 ans, François Njiké Pokam, qui, en succédant à son père, est aussi devenu l’ami de la famille Bergeret. À ce titre, il rendra régulièrement visite aux Bergeret. C’est dans ce cadre que le  nouveau chef, sans avoir l’air d’y penser vraiment, invite à la chefferie Claude pour lui préparer le couscous (p. 144). Cette invitation du chef à Claude est faite par-devant le père de  cette dernière qui met sa fille en garde contre ces avances faites dans la plus pure tradition africaine. Au fil des visites du chef François Njiké Pokam aux Bergeret, Claude le trouve “charmeur” (p. 138),  “sympathique” (p. 142) et “séduisant” (p. 143). Lorsque Claude s’installe dans son propre appartement, le chef continue à lui rendre visite. Toutes les  batteries du chef en matière de séduction sont déjà mises en marche. Claude est visiblement piquée, elle aussi. Dès lors, plus rien ne l’arrêtera : ni les réflexions de son père contre la polygamie (p. 111), ni ses mises en garde évoquées plus haut (p. 144), ni paradoxalement les propos de Claude même selon lesquels elle ne tomberait jamais amoureuse d’un Camerounais (p.  129).

En 1975, le président Ahidjo inaugure à Bangangté la permanence du parti politique Union Nationale Camerounaise (UNC). Claude est choisie comme l’une des hôtesses de la soirée organisée à cette occasion. Comme par hasard, elle y retrouve le chef bangangté qui lui propose de devenir sa femme (p. 149). Claude avoue son amour pour le chef bien que son intelligence s’y refuse : “Il fallait, écrit-elle, que je me prouve à moi-même que jamais une femme, blanche, diplômée de l’Université, ne pourrait épouser un Africain polygame et vivre au milieu d’autres femmes, noires, presque analphabètes, dans une chefferie.” (p. 165).

Mais Claude ne mettra pas fin à sa relation ambiguë avec le chef qui lui demande de s’occuper de la rénovation de son palais. Elle accède à cette demande en prenant pour prétexte  que la rénovation du palais serait pour elle un poste d’observation stratégique du fonctionnement de la chefferie bangangté. Le chef, de son côté, passe à la vitesse supérieure. Non seulement il déclare officiellement son amour à Claude (p. 176), mais aussi il l’invite à passer la nuit avec lui à la chefferie (pp. 177-179) ; invitation que Claude ne déclinera pas.

La suite des événements s’enchaîne alors comme sur du papier à musique : mariage civil avec François Njiké Pokam (pp. 185-186), suspension du salaire de Claude par Paris (p. 189), naissance de Sophie Abiba, le premier enfant Njiké-Bergeret (p. 192), départ de Claude de Mfetom et installation à la chefferie (p. 193).  

Les chapitres 5, 6 et 7 relatent la vie de Claude à la chefferie. Aucune question n’est éludée : le “tour de garde” de nuit des épouses du chef dans sa chambre, les relations entre Claude et son mari – relations parfois tumultueuses et se traduisant quelquefois par des violences sur sa personne (pp. 253, 289-290) –, les relations entre Claude et ses coépouses, ses difficultés financières, son recrutement comme professeur au lycée d’Etat de Bangangté (pp. 256-257), la naissance de Rudolf, le second enfant Njiké-Bergeret (p. 246), les cours particuliers de Claude aux enfants de la chefferie, la création des exploitations agricoles dans la vallée du Noun (p.  285) et la mort du chef à 40 ans (p. 307). Un mois après ce triste événement, Claude quitte la chefferie pour s’installer dans ses plantations. “J’ai épousé un homme, pas une dynastie.”, clame-t-elle (p. 310).

Le chapitre 8 est consacré à la vie de Claude et de ses “enfants” dans la vallée du Noun. Claude est encore vivante aujourd’hui, mais elle a déjà choisi le lieu et la manière dont elle sera enterrée lorsque son cœur cessera de battre : “C’est sous cette terre [d’Afrique] tant aimée que je serai ensevelie, sans cercueil.” (p. 357)

Qu’est-ce que j’ai aimé dans ce livre que je recommande à celles et à ceux qui ne l’ont pas encore lu, mais aussi à celles et à ceux qui l’on déjà lu, pour qu’ils le relisent ? Quelles en sont les qualités ?

1°) D’abord, la forme de ce récit autobiographique. Ma passion africaine est écrit comme un roman. Claude Njiké-Bergeret y fait montre de réels talents en matière de narration et de description. Dans la narration globalement linéaire, elle a su garder le rythme. Elle a su accélérer quand cela était nécessaire et ralentir quand il le fallait. Elle a su utiliser les techniques de l’analepse et de la prolepse. Bref, elle a fait preuve d’une maîtrise l’art de raconter.

 Quant à la description des paysages, celle-ci met en évidence la formation de géographe de l’auteur. À quoi s’ajoute une bonne segmentation du récit en chapitres, avec des titres à première vue saugrenus, mais dont les procédés métaphoriques finissent par être explicites au fil du texte et par plaire parce qu’ils puisent généralement dans la langue bangangté.

2°) Ensuite de réels talents d’observateur. Ma passion africaine fait ranger Claude Njiké-Bergeret, dussé-je blesser sa modestie, aux côtés des anthropologues de renom qui ont sillonné la région de l’Ouest-Cameroun, tels Claude Tardits et Jean-Pierre Warnier. L’âme d’anthropologue de Claude Njiké-Bergeret apparaît au grand jour dès lors qu’elle s’engage dans les travaux de rénovation du palais et surtout après son installation dans ledit palais. Elle expose à son lecteur les us et coutumes de la chefferie bangangté qu’elle a observés de l’intérieur. Et cela correspond tout à fait, au plan méthodologique, à la démarche que prescrit Bronislaw Malinovski, l’un des pionniers de l’anthropologie moderne.

3°) Beaucoup d’analyse psychologique du fait du dédoublement de la narratrice qui est à la fois jeune et adulte ; dédoublement qui rappelle La Gloire de mon père et le Château de ma mère du romancier français Marcel Pagnol.

4°) Une belle plume, enfin. On retrouve l’ancienne étudiante des universités de Poitiers et d’Aix-en-Provence : choix judicieux des mots, langue simple et claire, plusieurs morceaux de bravoure, et j’en passe.

En somme, Ma passion africaine de Claude Njiké-Bergeret est un livre passionnant.

Auguste OWONO-KOUMA

École Normale Supérieure

Université de Yaoundé I

Note de lecture présentée au centre culturel français (CCF) de Yaoundé le 18 mai 2009 en présence de l’auteur.

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