« Qui a enceinté la folle? » de TOMBE FRANKLIN : lecture sémiotique d’un psychodrame en spectacle
Une folle errante dans la rue est enceinte. Est-ce une bonne nouvelle ? La débile mentale a plusieurs amants qui la rencontrent nuitamment. Qui de Ganfo, son fils ou son voisin est l’auteur de cette grossesse ? Comment a-t-il procédé pour en arriver là ? La folle avait-elle été consentante ?
D’entrée de jeu, on pourrait perdre le fil de l’intention de l’auteur en s’attardant uniquement au titre. Une telle entrée présume une enquête pour rechercher l’identité de l’auteur d’une grossesse honteuse; pourtant le dramaturge garnit son message de paraboles, de métaphores et de jeux d’ironies.
C’est le 29 mars 2023 qu’a eu lieu à la salle Manu Dibango de l’Alliance franco-camerounaise de Dschang la grande première de la performance scénique « Qui a enceinté la folle ? » Une pièce de théâtre de Tombe Franklin. Il est à observer que le but n’a pas été de rechercher le coupable de la grossesse de la folle, mais de tourner en dérision par le moyen de la satire le sort de l’humaine condition.
En effet, les rideaux s’ouvrent sur un décor éclairé avec un groupe de personnes venus inaugurer la distribution des bacs à ordures dans la ville. C’est plus tard qu’interviendra la folle reconnaissable à travers un costume taillé et adapté à son rôle ; entendez vêtements sales et perforés, cheveux ébouriffés, portant sur elle les déchets d’ordures sélectionnés à la poubelle du coin et s’exprimant toute seule dans un langage pour le moins philosophique.
À l’entame de la deuxième scène, l’éclairage est sombre aux sonorités vespérales, on aperçoit un homme vêtu en gandoura blanche près de l’abri où loge la folle. Après avoir sondé minutieusement les recoins de la rue, les allées et venues des personnes de l’endroit où il se trouvait, il lancera le dialogue avec la folle qui dit ne pas l’attendre ce soir-là. Après avoir balbutié quelques mots, la conversation se terminera en queue de poisson parce que surpris par un autre visiteur inattendu.
Il fait nuit et les visages ne sont pas aisément reconnaissables. Il s’agira cette fois d’un autre amant venu visiter sa dulcinée et passer un agréable moment en sa compagnie. Malheureusement, cela ne sera guère possible ni pour lui ni pour celui qui viendra après lui, car la folle leur annonce à tous ce soir-là qu’elle attend un enfant. Mais dans sa grande folie, elle décide d’attribuer la paternité de cet enfant à celui qu’elle juge plus responsable et mature, le père de son second amant. Passant le clair de son temps à ramasser les ordures jetés à même le sol par les usagers, elle sera après plusieurs péripéties accueillie chez celui qu’elle a choisi comme auteur de sa grossesse.
Joué, coloré, soigné avec des parades tantôt lyriques tantôt comiques tant sur le plan du décor que de la mise en scène, Qui a enceinté la folle est un psychodrame saisissant, une adaptation faite d’un savant mélange de virtuosité et de compétence qu’il convient d’examiner de plus près.

Réflexion sur les folies urbaines
Le 13 mai 2023 a eu lieu dans la salle de spectacle de l’Université de Dschang la deuxième sortie de ce spectacle devant de nombreux spectateurs en liesse. Le décor est tripartite. On voit un intérieur bourgeois côté jardin : c’est le domicile de Ganfo, l’homme politique. Une porte au centre de la scène indique symboliquement le domicile du voisin commerçant ambulant. Côté cour, c’est la rue, le lieu public où la folle mène une vie errante ; c’est aussi le lieu des discours politiques et des solennités. L’hygiène interne des domiciles contraste avec l’absence d’hygiène et de salubrité dans les lieux publics.
L’entrée en scène des citoyens venus suivre le discours de campagne du magistrat municipal déterminé à participer au concours « ville propre » se fait désormais en chants et danses. Le bac à ordure est l’objet sémiotique qui marque le début de la campagne d’hygiène et salubrité. Le discours de circonstance du maire se fait plus saisissant. Il veut doper la ville des bacs à ordures en commençant par la proximité de son domicile. La foule est difficile à discipliner ; elle applaudit à tort et à travers avec une banalité déconcertante les quintes de toux du maire lors sa présentation. Ce discours qui est en soi une dérision des ordres protocolaires, exploite les formules éculées des discours politiques qu’on entend régulièrement. Lorsque le maire déguste une banane dont le jet de la peau dans le bac à ordures signale l’exemple à suivre par les citoyens dans le nouveau code de conduite induisant le changement de comportement, c’est alors qu’on découvre des personnages faméliques qui se précipitent sur ses restes, qui se livrent à la débauche et à l’insalubrité, bref, au boycott de cet outil de nettoyage de l’environnement urbain. L’incivisme est à son pinacle avec l’entrée en scène de la folle. Les rires saccadés de cette dernière viennent comme un refrain qui se pose en surimpression des notes de xylophones en fond sonore. Les folies repoussées à la marge des normes sociales, sont pourtant inscrites au cœur de la cité. La folle tire profit de toutes les circonstances. Elle est capable d’amour, mais surtout de manipulation des bien-pensants.
Cette folle sui generis dont le raisonnement est empreint de subtilités et de lucidité fait procès aux faces cachées des hommes, vieux et jeunes, tous rangs confondus. Responsables et hommes d’affaires sont indexés comme ceux qui vont à la rencontre de la folle pour des ambitions ignobles. Les hommes donnent honneur, argent, dignité pour avoir l’intimité de la belle démente.
Ces hommes sont bien mis et se tiennent bien le jour, mais sont méconnaissables la nuit dans leurs jeux de cache-cache : « Les fous ne sont pas toujours ceux qui mangent dans les poubelles ou qui marchent nus » peut –on retenir de la réplique d’un protagoniste en scène. Ganfo, l’homme politique bourgeois compradore et Rémi son fils étudiant se jouent respectivement du voisin commerçant devant leur proie commune dont leurs assauts sexuels subsumés dans la pièce auront engendré une grossesse que personne ne pourra assumer publiquement. On pense, entre autres à l’orphelinat qui accueillera le futur bébé. Mais le jeu de chantage de la folle poussera Ganfo à l’accepter dans son domicile pour camoufler tout. Il faut bien préparer la layette discrètement, sans éveiller les soupçons de la communauté. Ainsi, la folle portera ses caprices et sa surenchère jusque dans l’antre du maître de céans Ganfo. Bien que tourmentée par les esprits qui lui font pousser des cris hystériques en pleine nuit, l’amante débile sait mener le jeu, le raisonnement philosophique sur le désir, la famille, l’ambition politique, le travail, la liberté, l’existence, etc. Fils, père et voisin déploieront toutes les techniques lipogrammatiques pour conserver les secrets d’alcôve jusqu’à l’accouchement du fruit de conception.
Entre temps, l’instrumentalisation de la radio locale, «La radio du peuple » pour la campagne de salubrité lancée par le maire de la ville peut être considérée comme vaine, avec des slogans creux face à l’incivisme des citoyens de l’espace urbain. La perversion et la vie honteuse des protagonistes mises en avant de cette pièce de théâtre de l’ironie sensibilisent un public qui acclame constamment le jeu sublime des acteurs tels que Maï William Bemsii, Ludovyck Kenfack, Gildas, Rolande Maadjou.
Avec le soutien manifeste du Centre linguistique Clevertrans, « Qui a enceinté la folle ? » de TOMBE Franklin est une prestation scénique qui mérite d’être porté au marché des arts de la scène !

Qui est TOMBE Franklin?
Après avoir fourbi ses armes de scène au Théâtre Universitaire de Dschang, sous le regard du metteur en scène Alain Cyr Pangop, le conteur/ventriloque, traducteur (Français-Anglais-Allemand-Italien) et un animateur de jeunesse TOMBE Franklin rejoint en 2015 la toute première troupe professionnelle de théâtre, Afrodram’Art fondée à Dschang par Hector Flandrin, Hermann Labou, William Bemsii et Tombé Franklin. Ce dernier va contribuer tout comme les autres à la création de six (Six) spectacles géants qui vont faire de la ville de Dschang un pôle d’attraction artistique. D’ailleurs lors du Canal + Comedy Club, le célèbre Valery Dongo va intégrer la ville de Dschang comme point de casting et il y ressort avec trois acteurs parmi lesquels TOMBE Franklin. C’est ainsi que commence une autre aventure dans l’univers de l’humour avec une particularité qui a marqué le public : c’est de pouvoir allier conte, instrument et humour.
Plus tard, il va davantage développer cet aspect de l’humour avec Hector Flandrin qui venait de faire plusieurs scènes nationales et surtout la scène internationale du Parlement du rire en Côte d’Ivoire. C’est ainsi qu’en 2021 TOMBE Franklin fait sa première apparition sur la scène internationale du Parlement du Rire et profite de cette expérience pour toucher du doigt le théâtre professionnel avec des décors qui donnent l’illusion du réel et non celui de la scène. Certes il monte sur scène pour jouer mais c’est surtout pour apprendre.
C’était le début de multiples réflexions sur la thématique du décor au théâtre. En 2022, il retourne en côte d’ivoire et cette fois-là, il observe le travail de mise en scène de Mamane et particulièrement celui du metteur en scène et producteur Français Jeremy Ferrari. Un entretien avec lui va changer sa vision du théâtre et lui imposer un travail supplémentaire au niveau de la ville de Dschang en particulier.
La qualité de ses textes lors de ces deux éditions du Parlement du Rire va lui valoir non seulement une nomination aux ARA (Awards du Rire Africain) mais également une invitation à participer au Festival Abidjan Capitale du Rire en février 2023. Cette expérience va davantage le mettre en contact avec des humoristes francophones d’origines diverses tels que Stéphan Dipita (Cameroun), Le Magnific (Côte d’Ivoire), Deperpignan (Côte d’Ivoire), Chambre à louer (Gabon), Felix Kisabaka (RDC) et Weilfar Kaya (Congo) et surtout Mamane (Niger). Ce dernier va lors d’une photo selfie dire à l’oreille de TOMBE Franklin ceci « Allez travailler dur chez vous, soyez des stars chez vous ».
Cette phrase est donc devenu un crédo pour TOMBE, qui dès son retour a fait la mise en scène du one man show de l’humoriste Herby Herbal qui a connu un succès éclatant. Puis il a après un casting travaillé sur sa propre création : Qui a enceinté la folle ? Notons que ce n’est pas sa première création, car il a produit trois créations respectivement en 2015, 2016 et 2017 qui ont été joué à l’Ambassade d’Italie au Cameroun pour les deux premières et à l’Hôtel le Mont Febé, dans le cadre du Festival SLIM (Semaine de la Langue Italienne dans le Monde).
Alain Pangop et Marie Dominique Gnintelap
FICHE TECHNIQUE
Titre : Qui a enceinté la folle ?
Année de création spectacle : 2023
Première parution : 29 Mars 2023 dans la Salle Manu-Dibango de l’Alliance Franco-camerounaise de Dschang avec
N° | Personnage principaux | Interprété par |
1 | GANFO, un homme avec une carrière prometteuse en politique | MAI WILLIAM BEMSII |
2 | Rémi, fils de Ganfo, étudiant | KENFACK LUDOVYCK |
3 | Voisin, homme d’affaire et voisin de Ganfo | PAMPO GILDAS |
4 | La folle, amante de Ganfo, Rémi, Voisin, etc. | MAADJOU ROLANDE |
Autres personnages | ||
5 | Le Maire | TOMBE Franklin |
6 | Citoyen 1 | Ondoua Simon |
7 | Citoyen 2 | PAMPO GILDAS |
8 | Citoyen 3 | KENFACK LUDOVYCK |
9 | Citoyen 4 | MOMO Godlove |
10 | Citoyenne 1 | NKEUFACK Dalyce |
11 | Citoyenne 2 | MBOGNEN Stévine |
12 | Journaliste 1 | NKEUFACK Dalyce |
13 | Journaliste 2 | MBOGNEN Stévine |
Texte de : TOMBE Franklin
Mise en scène : TOMBE Franklin
Musique : Alex Njambou
Costume : Nzouban Mermoz
Photo et video: Sammy Pro
Graphiste : WilfiX Studio – Graphiste
Décor : Natural mystik Art et FYD déco
Maquillage: Medjongue Agathe
Lumière et Son: Elie Poudeu et Duviol TSAPTIE
Montage : 24h
Démontage : 3h
Durée spectacle : 1h15











Félicitations !
merci Dr. Tamekem!
Très magnifique ! Réflexion digne d’un professeur hors-échelle.
Merci bien, cher M.Jordan Kamga pour ce compliment!Animons ensemble http://www.affocom.com!