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Société civile et développement participatif : enjeux de la coopération pour le terroir

24 Mai

Société civile et développement participatif : enjeux de la coopération pour le terroir

Par Alain Cyr Pangop, professeur d’Université, consultant en communication 671 446 234 / 695 520 431, cyralainpangop@gmail.com

En 2007, la revue Terroirs n°4 avait consacré tout un dossier à la société civile, à l’effet d’en mesurer les enjeux et faire le point des débats, sous la direction de Fabien Eboussi Boulaga. Il y est question alors des analyses diagnostiques et des « prescriptions ». Au fond, l’approche nominaliste et pragmatiste critique et interactif qu’adopte Eboussi Boulaga lui permet de faire valoir tout d’abord que l’expression « société civile n’évoque pas la même chose pour tous et n’a pas une signification ni une référence évidente. On retiendra cependant que l’expression société civile se situe parmi les « acteurs non étatiques », en tant qu’organisation de base, à savoir : les associations d’habitants de quartiers, les ONG prestataires d’action de développement ou de services sociaux, les confédérations confessionnelles également prestataires de services sociaux, les fédérations paysannes, les médias, les collectivités territoriales, les organismes universitaires de recherche, les organismes et groupements de défense de droits de l’Homme, les représentants de peuples indigènes, les mouvements de protection de l’environnement, les organisation paysannes, les associations de consommateurs, les organisations religieuses, les structures d’appui au développement, les syndicats et les coopératives.

Finalement, la société civile apparaît ici comme un groupe social menant des actions dont le bénéfice est collectif. Elle est dès lors envisagée comme une solution à la mauvaise gouvernance ou à l’absence de de bonne gouvernance (c’est-à-dire la mauvaise gestion économique ou la prévalence de la corruption). La carence de gouvernance ou le fonctionnement défectueux d’une économie de marché interpellent les organisations de la société civile.

Le concept de développement local émerge vers la fin des années 1950 entre complémentarité et contradictions (cf. John Friedman et Walter Stöhr) et s’institutionnalise sous multiples facettes. En tant que théorie du développement endogène, le développement local est une approche volontariste, axée sur un territoire restreint, qui conçoit le développement comme une démarche partant du bas, privilégiant les ressources endogènes faisant appel aux traditions industrielles locales et insistant particulièrement sur la prise en compte des valeurs culturelles et sur le recours à des modalités coopératives. Le développement local possède une référence politique et économique qui prend son essor avec les politiques de décentralisation des années 1980. Au cours de ces années, les stratégies de développement menées sous l’égide des Etats manifestent leurs limites[i].

Avec les mutations de l’économie mondiale où la demande du marché est désormais à l’origine de la chaîne productive, la programmation évolue vers la flexibilité portée par des réseaux souples de petites unités de production ou pôles de développement intégré, au détriment des macro-unités[ii]. Le dimensionnement du local se situe au niveau des régions, qui sont en fait des échelons territoriaux du découpage juridique de l’espace national et qui jouent un rôle primordial dans la planification et dans l’aménagement du territoire[iii]. Il est question pour la planification au niveau de l’Etat, d’appuyer les leviers locaux du développement, en faisant participer les acteurs à l’élaboration du plan régional, et en aidant à la formulation de projets de développement local, avec en toile de fond la volonté de traiter les problèmes majeurs qui se posent, même si cela ne correspond pas toujours à la distribution juridique des compétences[iv]. Le développement local en Europe par exemple s’entend de nombreuses manières[v]. Au-delà de sa dimension économique, sociale, culturelle, spatiale et durable, le développement est souvent interprété comme un processus de transformation qui accompagne la croissance dans une évolution à long terme. Ce processus est étroitement lié au concept de progrès[vi]. Les conduites et les actions qui s’y réfèrent tentent de rapprocher la société civile et l’Etat local.

Plus qu’un concept, le développement local est un processus d’apprentissage organisationnel, une praxis collective[vii]. Dans les pays en développement, il repose sur des actions mobilisant les initiatives locales au niveau des petites collectivités et des habitants eux-mêmes, éventuellement avec une aide technique ou financière extérieure. Exemples : mini-infrastructures (creusement d’un puits, installation de cellules solaires pour alimenter un village, création d’une école) ; mise en place de micro-coopératives ou d’associations de microcrédit ; initiative de certains habitants à titre personnel ou familial au niveau d’exploitations agricoles, commerciales, artisanales, tirant parti des ressources et du marché locaux et utilisant des méthodes performantes[viii].

D’un point de vue opérationnel, le développement local s’appuie sur des méthodes qui mobilisent généralement trois principaux éléments :

  • l’élaboration d’outils de production d’informations et de connaissances afin d’identifier les ressources du territoire ; (ex : diagnostic de territoire)
  • la mise en place d’outils de concertation, de mobilisation et de coopération entre acteurs visant à valoriser les ressources en question et, si nécessaire, à en développer de nouvelles ; (ex : forums, groupes de travail, etc.)
  • l’élaboration et la mise en œuvre de projets grâce à un système plus ou moins formalisé de gestion et de prise de décisions.[ix]

Pour l’AFD, depuis une vingtaine d’années, l’approche du développement rural a été profondément renouvelée en intervenant sur le développement local, processus participatif utilisant les initiatives locales comme moteur du développement économique et social[x]. Le développement local doit faire face à trois principaux enjeux : répondre aux besoins des populations qui ont dorénavant une position active et responsable ; assurer un développement économique et social à l’échelle du territoire et inscrire la lutte contre la pauvreté et contre les inégalités dans des actions de proximité[xi].


[i] La concentration des pouvoirs économiques, culturels, techniques dans leurs mains ne permet plus d’assurer la cohérence nécessaire pour soutenir les processus de développement. Dans les pays du Sud, les efforts des ONG mais aussi de très nombreux autres opérateurs comme les sociétés de développement pour « organiser les populations » ont conduit à l’apparition d’organisations réellement représentatives qui acquièrent des capacités de négociation avec le pouvoir central.

[ii] Ainsi, lorsque la crise (chômage, pauvreté) touche des régions dont l’économie est caractérisée par la mono-activité, c’est tout le tissu social qui périclite. La crise rencontre souvent sur le terrain des poussées sociales, culturelles et identitaires. En ce sens, le développement local peut être perçu comme une réponse efficace à ces données économiques par la recherche d’un équilibre local à travers une autosuffisance adossée sur la diversification et l’intégration des activités. Le local s’approprie le développement pour en faire un concept et une pratique globale, une stratégie territoriale intégrée, solidaire, durable.

[iii] La région est l’échelon de référence de l’industrie locale, des services, bref, de l’intervention économique locale à laquelle les départements et les communes auront vocation à s’associer.

[iv] Du point de vue économique, le développement local s’inscrit dans une double exigence.

  • Valoriser localement les ressources existantes et potentielles, en vue de satisfaire le marché local (qui peut aussi être alimenté par des demandes d’origine externe comme l’accueil de touristes) mais également des marchés plus lointains en raison des compétences des producteurs et des caractéristiques des produits fabriqués ou travaillés. Le décolletage dans la vallée de l’Arve en France, la production de noix de cajou dans le Sine Saloum au Sénégal, la création de modèles de chaussures en Emilie Romagne en Italie alimentent des dynamiques de développement local tout en étant ouverts sur les marchés nationaux et internationaux.
  • Favoriser la diversification et l’enrichissement des activités par une multiplication des échanges entre les unités de production de la région considérée, quelle que soit leur nature moderne, traditionnelle, informelle, en visant la création d’un tissu d’activités interactives.

Du point de vue social, le développement local repose sur des propositions précises :

  • créer, revitaliser ou vivifier les solidarités réelles ou présumées pour organiser un débat autour d’un projet d’avenir ;
  • considérer les groupes de population de l’espace de développement comme des ensembles humains multiformes, capables de s’organiser entre eux et non comme des ensembles isolés, disponibles lorsqu’ils sont sollicités ;
  • susciter la mise en place de structures de médiation et de négociation entre ces groupes pour que chacun exprime son point de vue et participe à la définition des priorités de développement. Le consensus à rechercher n’est pas un accord unanime de tous sur toutes les priorités mais tous doivent trouver une part d’intérêt à leur réalisation.

[v] Au plan institutionnel européen, c’est un levier d’intervention dans les affaires sociales, une initiative structurelle et un appui aux politiques régionales. Sur le terrain, toute démarche ayant un caractère multisectoriel et infrarégional se réclame du développement local, tant dans le secteur marchand que non-marchand.

[vi] Le développement local conduit à changer les assises sur lesquelles fonder la dynamique de développement. Celui-ci n’est plus la conséquence d’une coopération entre des institutions détentrices de ressources financières et de compétences techniques avec des instances locales qui leur présentent des programmes à soutenir, mais comme le résultat d’une coopération élargie entre groupes de population habitant un espace donné en vue de coordonner et de rationaliser l’emploi de leurs ressources pour construire un devenir commun. A l’approche projet ou programme, le développement local substitue une approche favorable à la mise en place de « services », appui au bilan-diagnostic de leur situation par les populations concernées, dispositif d’information, dispositif financier… afin de débattre et conduire leur projet d’avenir.

[vii] Le développement local est d’abord un processus décisionnel. Ce qui limite les actions, ce ne sont pas les pénuries elles-mêmes (capital, formation, énergie…) mais les imperfections dans les processus de décision ; la difficulté majeure dans le développement est la gestion de la complexité. Dans cette perspective, la proximité est un atout essentiel parce qu’elle s’appuie sur une bureaucratie allégée, permet l’implication d’un nombre élargi de groupes de population et favorise des synergies entre eux.

Le territoire de référence pour soutenir une dynamique de développement local n’est pas isolé mais articulé à des espaces plus vastes. Les ressources disponibles, techniques, financières, humaines sont prioritairement celles qui sont accessibles dans ce territoire mais aussi celles qui sont acquises de l’extérieur. Il ne s’agit donc pas de rechercher une quelconque autarcie illusoire ni de faire supporter au niveau local des charges qu’il ne peut assumer. Mieux, le développement local trouve sa pleine expression si les acteurs locaux prennent en compte le contexte national au sein duquel ils agissent. Leur capacité à prendre en compte la valeur de la monnaie et le niveau des taux d’intérêt, la concurrence de productions venant de régions voisines ou de pays étrangers, l’accès à des moyens d’information rapides… favorise ou non les dynamiques de développement local.

La dimension territoriale, à savoir un espace géographiquement limité et déterminé, constitue une référence forte du développement local mais non exclusive. Cet espace est à considérer aussi dans sa dimension sociale. Le sentiment d’appartenance est un facteur essentiel, d’autant plus indispensable que l’espace géographique n’est pas homogène. Il n’y a pas de développement local sans existence d’une communauté territoriale (voir encadré). C’est par exemple le cas de la Bretagne, perçue dans l’imagerie courante à travers sa géographie côtière et les activités qu’elle induit mais cette région est aussi un pays « d’intérieur ». Le sentiment « d’être breton » constitue un ferment commun aux habitants.

[viii] Le développement ne découle pas seulement de la valeur économique des activités et qu’il ne relève pas seulement des systèmes organisés de production et des institutions centralisées mais est aussi lié à de petites initiatives localisées, à la mobilisation de la population locale autour de projets utilisant des ressources locales.

[ix] Frédéric Santamaria, http://www.hypergeo.eu/IMG/_article_PDF/article_424.pdf

[x] Les premières opérations l’ont été sous forme de projets d’aménagement des territoires (projets de gestion de terroirs), puis de projets de développement local.

[xi] Les interventions de l’AFD visent à contribuer à la consolidation des maîtrises d’ouvrage et maîtrises d’œuvre locales. L’AFD accompagnera les communautés rurales dans :

  • la définition de leurs priorités de développement et la programmation des actions d’aménagement du territoire tant au niveau de la gestion des ressources que des équipements ;
  • la mobilisation de leurs ressources propres en complément des ressources publiques affectées par l’Etat.

Dans le cas où le pays n’aurait pas adopté de politique nationale de décentralisation, l’appui au développement local se fera à travers l’intermédiaire de comités d’octroi constitués de représentants de villages ou d’organisations de la société civile. L’action de l’AFD sera étroitement liée à la décentralisation, soit pour préparer le processus, soit par l’apport d’expérience, soit par un appui à la mise en œuvre suivant à quelle étape se trouve les pays en matière de décentralisation.

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